Indivision : que faire quand un co-indivisaire bloque les travaux nécessaires à la préservation d’un bien ?
- Julie Scartabelli
- 30 oct.
- 4 min de lecture

L’indivision est une situation juridique courante : elle naît le plus souvent à la suite d’un héritage ou d’une séparation, lorsque plusieurs personnes deviennent ensemble propriétaires d’un même bien. Si cette propriété collective permet à chacun de jouir du bien, elle suppose aussi une gestion commune.
Et lorsque l’un des indivisaires fait preuve d’inertie ou de désaccord persistant, la situation peut rapidement se bloquer, notamment lorsque le bien commence à se dégrader.
Comment agir lorsque l’immeuble indivis nécessite des travaux, mais qu’un des propriétaires refuse de répondre ou de participer ? Le droit français, à travers le Code civil, offre plusieurs leviers pour sortir de cette impasse.
Les règles de base de la gestion en indivision
En principe, les décisions concernant un bien indivis dépendent de la nature de l’acte envisagé. Les actes de conservation – c’est-à-dire ceux qui visent à éviter la dégradation du bien, comme une réparation urgente ou l’entretien courant – peuvent être réalisés par un seul indivisaire. L’article 815-2 du Code civil le permet explicitement. Cet indivisaire peut même contraindre les autres à participer aux dépenses si elles sont justifiées par la sauvegarde du bien.
Les actes d’administration, qui concernent la gestion ordinaire (par exemple la location du bien ou la réalisation de travaux d’entretien plus conséquents), nécessitent en revanche l’accord des indivisaires représentant au moins les deux tiers des droits (article 815-3 du Code civil).
Enfin, les actes de disposition, qui modifient substantiellement le patrimoine (vente, hypothèque, donation, etc.), exigent l’unanimité. Ainsi, constituer une hypothèque sur un immeuble indivis pour financer des travaux ne peut, en principe, être décidé seul par un indivisaire.
L’acte conservatoire : un outil à manier avec prudence
Certains actes, bien qu’ils paraissent importants, peuvent être considérés comme des mesures conservatoires s’ils visent avant tout à éviter la dégradation du bien. C’est le cas, par exemple, de réparations urgentes pour prévenir un effondrement ou une infiltration.
Mais attention : pour qu’un acte soit qualifié de conservatoire, il doit être nécessaire. La simple utilité ne suffit pas. Il faut que, sans cette intervention, la dégradation du bien soit très probable à court terme.
Ainsi, dans le cas d’un ravalement de façade ou d’une réfection de toiture, si la dégradation est lente et non urgente, l’acte ne sera sans doute pas considéré comme conservatoire. L’indivisaire qui agit seul pourrait donc voir son initiative remise en cause, voire privée d’effet à l’égard des autres.
Les autorisations judiciaires : une solution encadrée par la loi
Le Code civil offre également la possibilité de saisir le juge lorsque la situation est bloquée. Plusieurs articles peuvent être invoqués :
L’article 815-4 permet à un indivisaire d’être autorisé à agir seul si un autre copropriétaire est « hors d’état de manifester sa volonté » (par exemple en cas de disparition ou d’incapacité).
L’article 815-5 autorise le juge à passer outre le refus d’un indivisaire, si ce refus met en péril l’intérêt commun.
Enfin, l’article 815-6 s’applique en cas d’urgence, pour éviter un dommage imminent au bien indivis.
Dans la pratique, ces procédures supposent de justifier d’une situation sérieuse et de démontrer l’intérêt collectif de la mesure. Elles peuvent toutefois s’avérer coûteuses et longues, surtout lorsqu’il existe d’autres solutions moins contraignantes.
La gestion d’affaires : une issue pragmatique
Lorsque les autres solutions échouent, le mécanisme de la gestion d’affaires peut offrir une réponse efficace.
Selon l’article 815-4, alinéa 2, du Code civil, un indivisaire peut accomplir des actes utiles pour la préservation ou la valorisation du bien commun, même sans autorisation préalable, dès lors qu’il agit dans l’intérêt collectif et au nom de ses co-indivisaires. Ce dispositif, hérité du droit des quasi-contrats (article 1301 du Code civil), repose sur une idée simple : celui qui gère utilement les affaires d’autrui, sans mandat, doit être reconnu dans ses droits.
En pratique, cela signifie qu’un indivisaire peut, dans certains cas, engager des travaux ou conclure un contrat pour le compte de l’indivision, à condition que son action soit réellement profitable à tous. Les tribunaux apprécient cette utilité de manière concrète : les dépenses doivent avoir contribué à conserver ou améliorer le bien.
La Cour de cassation a récemment confirmé cette approche (Cass. 1re civ., 30 avr. 2025, n° 23-15.971 ; Cass. 3e civ., 18 sept. 2025), en admettant que la gestion d’affaires pouvait suppléer aux règles ordinaires de pouvoirs lorsqu’un indivisaire agit pour l’intérêt commun. Cette position, d’abord appliquée entre époux mariés sous le régime de la communauté, s’étend désormais à l’indivision ordinaire.
L’indivisaire « gérant » devra toutefois rendre compte de sa gestion et pourra demander à être remboursé des dépenses utiles engagées. En revanche, la loi ne prévoit pas qu’il soit rémunéré : il agit pour le compte de tous, non pour son profit personnel.
La convention d’indivision : anticiper les blocages
Pour éviter d’avoir à recourir à ces mécanismes parfois complexes, les indivisaires peuvent, dès le départ, conclure une convention d’indivision. Ce contrat permet d’organiser la gestion du bien et de désigner un mandataire chargé de prendre certaines décisions.
Cependant, ce mandataire n’a pas tous les pouvoirs : il ne peut pas, par exemple, hypothéquer ou vendre le bien sans l’accord de tous les indivisaires, car ces actes restent soumis au principe de cogestion.
Une telle convention ne permet donc pas de tout régler, mais elle constitue un outil précieux pour fluidifier la prise de décision et limiter les situations de blocage.
En conclusion
Lorsqu’un bien indivis se dégrade et qu’un indivisaire reste inactif, plusieurs voies s’offrent aux autres copropriétaires : agir seul pour les actes conservatoires, solliciter une autorisation judiciaire, ou encore invoquer la gestion d’affaires pour réaliser les travaux nécessaires dans l’intérêt de tous.
Chaque situation doit être analysée avec rigueur : la frontière entre acte conservatoire, d’administration ou de disposition est parfois ténue, et les conséquences juridiques peuvent être lourdes.
L’accompagnement d’un avocat en droit de la famille et des successions s’avère donc essentiel pour choisir la stratégie adaptée, sécuriser les démarches et préserver à la fois le bien et les relations entre indivisaires.




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