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L’origine des arrêtés Miot : un régime fiscal unique à l’histoire complexe

  • Julie Scartabelli
  • 24 nov.
  • 3 min de lecture

Les arrêtés Miot occupent une place singulière dans l’histoire juridique et fiscale de la Corse. Longtemps à l’origine d’un traitement dérogatoire des successions sur l’île, ils ont façonné la fiscalité corse pendant plus de deux siècles. Pour comprendre leur portée, il est indispensable d’en retracer l’origine, le contenu et l’impact durable sur le droit patrimonial.


1. Contexte historique : la mission de Miot et les difficultés administratives de la Corse


En 1801, Napoléon Bonaparte nomme André-François Miot de Mélito administrateur général des deux départements corses. Sa mission : réorganiser l’administration, rétablir la fiscalité et mettre fin aux difficultés de recouvrement des droits successoraux.

À l’époque, plusieurs obstacles rendent l’application du droit commun quasi impossible :

  • absence de cadastre fiable ;

  • forte proportion de biens indivis ;

  • patrimoine foncier fragmenté et mal identifié ;

  • faible taux de déclaration des successions ;

  • difficultés socio-économiques particulières à l’île.


Miot doit donc concevoir un régime transitoire permettant à l’administration fiscale de fonctionner malgré ces contraintes.


2. L’arrêté Miot du 21 prairial an IX : un mode d’évaluation forfaitaire et la suppression des sanctions


Le texte le plus déterminant est l’arrêté du 21 prairial an IX (10 juin 1801), qui modifie les règles applicables aux successions en Corse.Son article 3 est essentiel car il introduit une méthode d’évaluation particulière des immeubles et supprime la pénalité due en cas de non-déclaration dans les six mois.


Article 3 : « La valeur des immeubles dont les héritiers légataires ou donataires étaient tenus de faire la déclaration pour les successions qui leur étaient échues sera, à l'avenir, déterminée par le montant de la contribution foncière, et, pour parvenir à cette fixation, la contribution foncière sera considérée comme le centième du capital sur lequel les droits à percevoir, d'après la loi du 22 frimaire en 7, seront liquidés.

En conséquence, ces droits seront exigibles dès que le receveur de l'enregistrement au bureau de la situation des biens aura la connaissance du décès de l'ex-propriétaire. Il en suivra le recouvrement sur les héritiers qui seront tenus, en acquittant les droits, d'ajouter la déclaration des immeubles fictifs ainsi que celle du mobilier.

La peine du droit en sus, encourue pour défaut de déclaration dans le délai de 6 mois, restera abrogée.»


Cet article introduit trois ruptures majeures avec le droit commun :

1. Une évaluation forfaitaire des biens immobiliers

L’assiette de l’impôt n’est plus la valeur réelle, mais un capital fictif correspondant à 100 fois la contribution foncière. Ce système permet de contourner l’absence de cadastre et les difficultés d’évaluation.


2. Des droits exigibles automatiquement

L’exigibilité est déclenchée par la seule connaissance du décès par l’administration, même sans déclaration des héritiers.


3. La suppression de la sanction de non-déclaration

Cette abrogation a encouragé le non-dépôt d’actes successoraux, ce qui aura des conséquences considérables sur le long terme.


3. Les conséquences des arrêtés Miot : indivision, désordre foncier et tradition successorale corses


Le système Miot, pensé comme provisoire, a finalement duré près de 200 ans.

Il a eu plusieurs effets structurels :


  • faible taux de déclaration des successions ;

  • accumulation de biens non déclarés, parfois pendant plusieurs générations ;

  • extension massive de l’indivision, caractéristique du foncier corse ;

  • fragilité des titres de propriété, compliquant les ventes, partages et régularisations.

Ce régime dérogatoire a contribué à la situation foncière particulièrement complexe de l’île.


4. La remise en cause et l’extinction progressive du régime


À partir de la fin du XXᵉ siècle, ce régime est contesté :

  • Sur le plan constitutionnel, en raison du principe d’égalité devant l’impôt ;

  • Sur le plan administratif, en raison de son impact sur la sécurité juridique et le foncier.


Plusieurs étapes marquent la fin progressive du dispositif :

  • Loi de finances pour 1999 : retour à une évaluation des biens en valeur vénale

  • Décisions du Conseil constitutionnel : censure de certaines prorogations

  • Loi du 22 janvier 2002 : aménagements transitoires

  • Réformes successives visant à aligner la Corse sur le droit commun, tout en tenant compte des réalités foncières locales.


Aujourd’hui, les arrêtés Miot ont essentiellement une portée historique, même si certains mécanismes liés au foncier corse demeurent encadrés par des régimes spéciaux.

Conclusion


Les arrêtés Miot constituent un exemple unique de législation fiscale adaptée à un contexte territorial spécifique. Leur vocation initialement transitoire explique mal leur longévité, mais elle s'explique par les contraintes structurelles du foncier corse .Leur héritage demeure visible aujourd’hui encore, notamment à travers l’ampleur de l’indivision et les difficultés de reconstitution des titres de propriété.

 
 
 

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