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Le droit de retour légal des parents : protéger les biens donnés à un enfant sans postérité

  • Julie Scartabelli
  • 14 août
  • 4 min de lecture
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Lorsque l’on donne un bien à son enfant, on n’imagine pas qu’il puisse un jour décéder sans avoir fondé de famille. Et pourtant, dans certains cas, les biens que les parents ont transmis peuvent se retrouver entre les mains d’héritiers éloignés, voire du conjoint survivant, sans possibilité pour les parents de les récupérer. Pour éviter cela, le Code civil a prévu un mécanisme peu connu mais essentiel : le droit de retour légal des père et mère.


1. Qu’est-ce que le droit de retour légal ?


Le droit de retour légal permet aux parents d’un enfant décédé sans descendant de récupérer les biens qu’ils lui avaient donnés de son vivant. Il s’applique même si l’enfant a vendu ces biens ou les a donnés à son tour : dans ce cas, les parents peuvent en réclamer la valeur dans la succession.

Ce droit figure à l’article 738-2 du Code civil, et s’inscrit dans une logique de justice familiale : si les parents ont donné un bien, ils doivent pouvoir le récupérer si leur enfant meurt sans postérité. Cela évite que les biens transmis par les ascendants sortent définitivement du patrimoine familial.


2. Pourquoi ce droit a-t-il été instauré ?


Jusqu’en 2006, les parents bénéficiaient d’une "réserve héréditaire", c’est-à-dire qu’une part minimale de la succession leur était automatiquement réservée, même si le défunt avait rédigé un testament. Mais cette protection a été supprimée par la réforme du 23 juin 2006, qui a renforcé les droits du conjoint survivant.


En compensation, le législateur a mis en place ce droit de retour : s’il n’est plus possible de garantir une part fixe dans la succession aux parents, il leur est au moins permis de récupérer ce qu’ils avaient donné. Il s’agit donc d’un mécanisme de sauvegarde du patrimoine familial, mais aussi de protection minimale des parents qui, dans certains cas, n’auraient plus aucun droit sur la succession de leur enfant.


3. Dans quelles situations le droit de retour s’applique-t-il ?


Pour que le droit de retour s’applique, plusieurs conditions doivent être réunies :


  • L’enfant doit être décédé sans laisser de descendant. Cela signifie qu’il n’a pas eu d’enfants (même adoptés).

  • Le bien doit avoir été donné par le père ou la mère. Il peut s’agir d’un bien immobilier, d’une somme d’argent, ou d’un autre bien.

  • Le ou les parents doivent être vivants au moment du décès et capables d’hériter. Ils ne doivent pas être frappés d’indignité successorale, par exemple en cas de maltraitance.


Attention : seuls les père et mère bénéficient de ce droit. Les autres ascendants (grands-parents, etc.) ou les frères et sœurs du défunt n’en bénéficient pas.


4. Qu’advient-il si le bien a été vendu par l’enfant ?


Le droit de retour s’exerce alors "en valeur". Autrement dit, les parents ne récupèrent pas le bien lui-même, mais l’équivalent de sa valeur dans l’actif de la succession. Cette valeur est calculée au jour de l’aliénation (la vente), et non au jour du décès.


Exemple : un père donne à son fils une maison estimée à 100 000 €. Si le fils revend la maison pour 110 000 €, puis décède sans enfants, le père a droit à 110 000 € (dans la limite de ce que permet la succession).


Si le bien est encore présent dans le patrimoine du défunt, le retour peut se faire en nature. Les parents récupèrent alors directement le bien.


5. Quelle est la limite du droit de retour ?


Le Code civil précise que ce droit de retour s’exerce "à concurrence des quotes-parts fixées à l’article 738", c’est-à-dire jusqu’à un quart de la succession pour chaque parent. Cela signifie que même si la valeur du bien donné est supérieure à ce quart, les parents ne pourront réclamer que dans cette limite.


Deux grandes lectures s’opposent sur ce point :

  • Soit le droit de retour est plafonné à un quart de la valeur totale de la succession.

  • Soit il est limité à un quart de la valeur des biens donnés.


La jurisprudence et la majorité de la doctrine penchent pour la première solution, plus favorable à la conservation du patrimoine familial dans certaines configurations.


6. Que se passe-t-il en présence du conjoint survivant ?


La question est complexe. Deux thèses s’affrontent :


  • Certains estiment que le droit de retour peut s’exercer même si le défunt laisse un conjoint survivant, ce qui permettrait aux parents de reprendre ce qu’ils ont donné, sans que le conjoint en hérite.

  • D’autres considèrent que ce droit ne joue que si le défunt ne laisse ni conjoint, ni descendant.


La jurisprudence semble admettre que le droit de retour peut coexister avec les droits du conjoint, mais les situations peuvent donner lieu à des conflits, notamment en cas de legs ou de testament.


7. Est-ce que ce droit est automatique ?


Oui, le droit de retour est d’ordre public : cela signifie que le défunt ne peut pas y faire échec par testament. En revanche, les parents peuvent y renoncer, notamment dans l’acte de donation, s’ils préfèrent ne pas le réserver.


Il est à noter que s’il existe déjà une clause de retour conventionnel dans la donation (c’est-à-dire un accord exprès prévoyant que le bien reviendra au donateur en cas de décès), cette clause primera sur le droit légal. Si la clause conventionnelle ne peut pas jouer (par exemple si le bien a été vendu), le droit de retour légal peut prendre le relais.


8. Un droit complexe mais utile


En résumé, le droit de retour légal des parents est une solution équilibrée pour :

  • protéger les biens donnés dans un cadre familial,

  • éviter que les efforts des parents pour aider leur enfant ne soient perdus en cas de décès prématuré,

  • garantir une forme de justice successorale, surtout en l’absence d’autres héritiers directs.


Ce droit, souvent ignoré ou mal compris, mérite d’être connu, notamment lors de donations importantes faites à ses enfants. Pour le sécuriser, il est recommandé d’envisager une clause de retour conventionnel dans tout acte de donation. Cette clause a l’avantage d’être plus claire, plus souple, et plus facile à faire appliquer.

 
 
 

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